Exposition
LES GUETTEURS
Encres et collages : Philippe Bertin
Mare Nostrum pour certains, océan de douleur pour d’autres. De cet objet mythique qu’est la Méditerranée, Philippe Bertin a décidé, après bien d’autres, de faire œuvre. C’est justement au moment où certaines réactions européennes risquent d’en faire non seulement le tombeau de milliers de migrants, mais aussi celui des valeurs d’hospitalité de l’Europe. Le choc provoqué par la photographie du petit Aylan Kurdi mort noyé sur une plage de Turquie a rappelé que cet espace a toujours constitué un carrefour de migrations, et donc de métissage. Les images de Philippe Bertin empruntent donc le même chemin. De l’encre de chine, de l’encre vitrail, et quelques photographies de sculptures grecques lui servent de matière première pour bâtir une figure ambivalente du berceau aquatique de l’Europe.
Ambivalente, oui, parce que la culture occidentale connue pour avoir valorisé le désir de domination et de maîtrise, a aussi été le berceau de forces d’entraide et de solidarité. C’est pourquoi ses images qui me touchent le plus sont celles sur lesquelles plusieurs statues semblent s’avancer ensemble vers leur spectateur, comme les témoins fantomatiques d’un temps lointain, et pourtant si proche par ses enjeux humains et politiques. Comment des migrants venus d’Afrique et du moyen orient peuvent-ils créer les bases d’une cohabitation équitable avec les Européens autochtones? En se rappelant que l’instinct ancestral du don est inséparable du métissage. Les cultures du pourtour méditerranéen se sont enracinées dans des valeurs communes de réciprocité et de partage. Il nous faut redécouvrir ce «vivre ensemble», ce que le philosophe Jacques Derrida nommait il y a déjà vingt ans «une politique de l’amitié».
C’est ici que les images de Philippe Bertin trouvent leur place, comme le rappel de l’importance de la rencontre et du métissage dans la culture méditerranéenne.
Serge Tisseron